Écriture inclusive : retour d’expérience d’une start-up dans le numérique
Cela faisait des années que nous évoquions régulièrement le sujet de l’écriture inclusive en interne. Des années qu’on essayait de l’appliquer au mieux mais sans le formaliser. Jusqu’à que l’équipe organisatrice du dernier festival du numérique Web2day demande aux intervenantes et intervenants, dont nous, l’avis sur le terme à utiliser pour le féminin de speaker. Les réponses de la communauté, pour beaucoup très documentées, ont provoqué un vrai déclic chez nous.
Depuis, nous en avons re-discuté en interne, questionné d’autres start-up, approfondi le sujet… dans le but de formaliser une politique claire pour toute l’équipe, ainsi que pour notre communauté. Voici notre retour d’expérience.
Pourquoi formaliser une politique d’écriture inclusive ?
Nous avons découvert que notre approche n’était pas uniquement informelle mais aussi pas suffisamment aboutie, par manque de connaissances. Si vous aussi voulez aller plus loin sur ce sujet, nous vous conseillons :
- L’écriture inclusive a-t-elle un intérêt ? Quelles preuves ?, vidéo de Viviane Lalande, PhD, communicatrice scientifique, formatrice, chroniqueuse et créatrice de Scilabus.
- Accessibilité et écriture Inclusive, webinar avec Sandrine Bourget-Lapointe, libraire, formatrice et conseillère en écriture inclusive, et Olivier Keul, expert en accessibilité et qualité du web
Par exemple, chercher des mots neutres nous prenait souvent la tête, tout en étant contre-productif car tous les travaux de recherche montrent que notre cerveau interprète le genre neutre comme étant du masculin.
Nous avons aussi pris conscience que l’usage de la ponctuation comme les points ou tirets au milieu d’un mot créait des problèmes de lisibilité auprès de personnes ayant des handicaps visuels. En souhaitant mieux inclure une partie de la population, on créait une sorte d’exclusion auprès d’une autre.
Donc, en voulant faire bien, on perdait du temps sans arriver vraiment à l’objectif. Formaliser une politique d’écriture inclusive permet à la fois de gagner du temps car on se posera moins de questions à chaque fois, ainsi que d’avoir une communication plus cohérente avec nos valeurs et engagements.
On aurait pu adopter des directives externes mais pour l’instant il ne semble pas y avoir de consensus sur la meilleure façon de faire. Il y a plusieurs alternatives, chacune ayant des avantages et des inconvénients. Il fallait donc faire des choix.
Notre point de départ : une écriture inclusive appliquée de manière aléatoire
L’inclusion fait partie de nos valeurs, à tous les niveaux. Elle fait même partie de notre mission : rendre la finance plus inclusive, pour permettre à tout le monde d’investir selon ses moyens et à tous les projets qui ont du sens d’obtenir le financement dont ils ont besoin.
La question de la parité ne s’est pas beaucoup posée chez nous : l’équipe a toujours été assez mixte. Certaines périodes les hommes étaient plus nombreux, d’autres les femmes plus nombreuses, de manière naturelle. Aujourd’hui, nous sommes 3 femmes et 3 hommes dans l’équipe opérationnelle, la question se pose juste au niveau de l’équipe de direction qui s’est masculinisée ces dernières années (4 hommes et 1 femme). Cela pourrait s’équilibrer de nouveau assez facilement car notre but est de faire rentrer progressivement nos salariés et salariées au capital de l’entreprise.
Côté clientèle (entrepreneuses et entrepreneurs), nous sommes plutôt à 22 % de projets financés qui sont portés par des femmes. Ce n’est pas beaucoup mais cela reste équilibré par rapport aux statistiques nationales (en 2018, 23 % des entreprises créées étaient dirigées par des femmes selon l’Insee). Et, surtout, c’est assez équilibré au niveau du financement car 19 % du montant collecté via la plateforme leur est destiné. Cela est un sujet majeur pour nous car en France les entrepreneuses ont souvent plus de difficulté à débloquer des financements et, quand elles y arrivent, obtiennent moins que leurs pairs masculins.
Côté investisseuses et investisseurs, les femmes représentent 40 % de notre communauté. Cela aussi est une exception dans le monde de la finance et de l’investissement, qui reste très masculin à ce jour malgré quelques progrès ces dernières années.
Une communauté donc très diverse, auprès de laquelle on essayait de communiquer de manière inclusive depuis plusieurs années. Sans pour autant le formaliser, on faisait attention, chaque personne de l’équipe le faisait un peu à sa manière.
Un consensus difficile, même entre personnes sensibilisées
La première chose que nous avons mise en place c’est une sensibilisation sur le sujet à toute nouvelle personne qui intègre l’équipe, y compris les stagiaires. Désormais, ils et elles liront cet article ainsi que notre politique interne à ce sujet. Nous leur recommanderons par ailleurs des ressources supplémentaires pour aller plus loin sur le sujet.
Concernant la politique interne, même entre nous le consensus était difficile (pour rappel, avant chacune et chacun le faisait un peu à sa sauce).
Nous avons décidé d’éviter au maximum la ponctuation en milieu des mots, dont le fameux point médian, pour ne pas créer d’autres problèmes d’accessibilité. En tant qu’acteurs du numérique, cela nous semblait indispensable. Peut-être qu’un jour les lecteurs vocaux d’écran utilisés par des personnes malvoyantes arriveront à interpréter correctement ces nouvelles formes d’écriture. À ce moment-là, nous pourrons re-questionner ce choix (et relancer le long débat sur la préservation de la langue française).
Entrepreneure ou entrepreneuse, investisseure ou investisseuse ?
Nous avons par ailleurs décidé d’éviter les mots neutres, qui se révèlent inefficaces dans tous les travaux de recherche, et de privilégier les mots en doublon pour bien exprimer les 2 genres. Ce qui nous a fait arriver à un autre débat, très lié à notre métier : entrepreneure ou entrepreneuse, investisseure ou investisseuse ?
Cela devrait être pourtant simple : les mots qui se terminent en “eur” comme entrepreneur ou investisseur prennent leur forme féminine avec une terminaison “euse”. Mais alors pourquoi entend-t-on aussi peu parler d’entrepreneuses ou d’investisseuses dans notre secteur d’activité ? Beaucoup de réseaux consacrés à l’égalité homme-femme dans le monde de l’entrepreneuriat et de la finance utilisent plutôt les termes “entrepreneure” ou et “investisseure”.
En effet, “entrepreneuse” aussi bien qu’”investisseuse” semblent avoir une connotation sexuelle, peu facile à porter par les principales concernées. Moi-même, j’évitais le mot “entrepreneuse” pour me désigner pour éviter toute remarque ou pensée non désirée.
Mais, après toutes nos recherches sur le sujet, nous découvrons que le féminin “étudiante” a lui aussi eu une connotation sexuelle qui a disparu avec la généralisation de l’usage de ce mot. Ce serait donc juste une question d’habitude ?
Comme dans toutes nos décisions, nous avons fait en choix de manière démocratique, en appelant aux votes en interne :
- Entrepreneure, investisseure c’est déjà bien : ce n’est pas le vrai féminin et cela préserve une certaine symbolique masculine, mais c’est important que les principales concernées se sentent à l’aise
- Entrepreneuse, investisseuse : c’est le vrai féminin et c’est un positionnement activiste, nous l’assumons, ce n’est pas normal que ces termes gardent une connotation sexuelle
Je croyais lancer un long débat, c’était le cas sur le point médian, mais étonnamment pas du tout sur ce sujet : le vote a été unanime. Désormais chez nous on parle d’investisseuses et d’entrepreneuses de manière assumée et décomplexée, en espérant renforcer notre action pour plus d’égalité homme-femme dans le monde de l’entrepreneuriat et de la finance.
Agir et avancer, malgré les débats
Ce n’est sûrement pas parfait, mais en avoir discuté en équipe et fait des choix ensemble a déjà été une étape importante pour nous. Surtout qu’il s’agit d’un sujet sur lequel il y a beaucoup de débat.
Par ailleurs, c’était très intéressant de laisser un peu de côté tous les débats culturels et opinions individuelles et de prendre le temps d’explorer ce que la recherche scientifique nous dit aujourd’hui à ce sujet. Car même s’il n’y a pas de consensus sur comment faire, le constat est clair et indiscutable : notre langue a un biais masculin préjudiciable aux femmes et l’écriture inclusive permet d’y répondre.
En tant qu’entreprise qui a une communication publique, nous avons donc un rôle à jouer ! Car si le “GOOD” est dans nos valeurs, le “DO” aussi.